08 mai 2025

Tempête sur la mixité : des voix inspirantes réunies à Genève

Dans une salle comble à la HEAD de Genève, chaleureusement accueilli·es par Lada Umstätter, Directrice de l’institution, l’événement organisé par Artemia Executive et la Fédération Suisse des Entreprises (FSE) a rassemblé ce mardi 6 mai 2025 dirigeant·es, expert·es, entrepreneur·es et des personnes engagées autour d’une question aussi cruciale que sensible : comment faire progresser la mixité dans un climat de résistances accrues ?

Une météo contrastée pour les politiques de mixité

Le constat posé en introduction était clair : les politiques de diversité et d’inclusion traversent actuellement une période de remise en question. Depuis l’automne 2023, les discours critiques à l’égard des mesures visant à lutter contre les discriminations et à promouvoir la mixité se multiplient, tandis qu’une forme de banalisation des inégalités semble gagner du terrain.

Les vagues de résistance ne sont pas nouvelles, mais elles se recomposent : après #MeToo et la Grève des femmes, le sujet a fait l’objet de nombreux débats, ce qui montre son importance. Un constat partagé par plusieurs intervenant·es : la mixité suscite des réactions, et c’est justement ce qui met en lumière les rapports de pouvoir sous-jacents.

Des chiffres tenaces, des récits révélateurs

6% C’est la part des femmes à la tête des grandes entreprises suisses. 20% dans les comités de Direction. Malgré les discours et les engagements affichés, les chiffres progressent à pas lents et traduisent une réalité bien connue de celles et ceux qui vivent ces inégalités au quotidien. Alors… Comment peut-on dire que “ c’est allé trop loin”?

Emmanuelle Badu, cadre supérieure dans le secteur technologique, parle de solitude stratégique : « développer sa carrière demande de mobiliser des compétences spécifiques, mais rester la seule femme autour de la table, réunion après réunion, devient une épreuve ». Derrière les chiffres, ce sont ces vécus d’usure, d’adaptation constante, mais aussi de persévérance qui illustrent les enjeux liés à l’inclusion.

Pour Gregory Feret, CEO de Silicom Group, c’est un rôle modèle féminin dans son entourage qui a changé sa perception : « tant qu’on ne voit pas, on ne questionne pas. Maintenant, je réalise tout ce que des équipes homogènes nous ont fait manquer ». Ces récits ne visent pas à susciter l’émotion, mais à pointer l’angle mort collectif : celui d’une norme qui ne s’est déclinée pendant longtemps qu’au masculin.

Le risque de la banalisation

Plusieurs intervenant·es ont alerté : le backlash ne prend pas toujours la forme d’une attaque frontale, mais celle d’une érosion insidieuse. Les discours sexistes se normalisent. L’attention au sujet se relâche. Les pressions politiques trouvent un écho dans les entreprises. Et les progrès, encore récents, semblent déjà fragilisés. Comme le mentionne Christophe Barman de la FSE : « on entend des choses qu’on n’aurait pas osé dire il y a trois mois. Et personne ne réagit ».

Le débat n’a pas éludé la réalité des résistances ni de la complexité de ces sujets. Pour Clarisse Di Rosa, Responsable de la diversité et de l’inclusion aux HUG, il est temps de sortir de la logique où la responsabilité incombe uniquement aux femmes : « il faut travailler à la fois sur les compétences individuelles et sur les blocages systémiques ».

De nombreux leviers ont été évoqués : panel de recrutement diversifié, CV anonymisés, formations sur les biais cognitifs, soutien managérial fort, engagement clair de la Direction. Il est essentiel que ces actions soient systématiquement intégrées dans une approche stratégique globale. Ces pratiques sont jugées efficaces à condition d’être inscrites et incarnées, au quotidien, dans une culture organisationnelle cohérente et durable.

Chez Loyco, Christophe Barman souligne : « pour changer les équilibres, il faut changer les règles. Tant qu’on évalue les talents avec des critères formatés par une histoire masculine du pouvoir, on reproduira les mêmes profils  ». Pour lui, incarner un modèle alternatif dès maintenant est essentiel pour combattre la banalisation des discriminations. Et la gouvernance participative peut être un levier pour favoriser la mixité.

Rôle des alliés et leadership partagé

Les hommes ont un rôle décisif à jouer pour faire avancer la mixité. Prendre la parole, assumer un positionnement clair, occuper le terrain des idées : c’est une manière concrète de faire reculer les résistances. La tribune parue en janvier dernier dans Le Temps, signée par plusieurs dirigeants présents lors de cette soirée, en est un bon exemple. Elle rappelle que la diversité n’est pas un “sujet de femmes”, mais un enjeu commun de performance, d’équité et de société. Face à la montée des discours masculinistes, ces prises de position comptent. « Il faut raconter, toucher à l’émotionnel. Ma prise de conscience, c’est quand j’ai compris que de nombreuses femmes subissaient des situations difficiles au quotidien », partage Gregory Feret. Pour faire face au backlash, il faut des alliés lucides, des leaders cohérents, et un engagement collectif visible.

Une boussole pour la suite : courage, cohérence et collectif

Les échanges se sont conclus sur une tonalité à la fois lucide et volontaire. Oui, les vents contraires soufflent fort. Mais la mixité reste une promesse d’avenir, au service non seulement de l’égalité, mais aussi de la compétitivité et de l’innovation.

Les discussions ont mis en lumière que, plus que jamais, l’enjeu réside dans le courage des leaders à s’engager concrètement. Courage d’affronter les résistances, de créer des coalitions sincères, femmes et hommes, de ne pas céder au cynisme. Car si le marché du travail devient plus exigeant, les organisations attractives sont celles qui sauront continuer à faire de la compétence et du respect des personnes une priorité, et à conjuguer impact social et performance.

Un grand merci à toutes les personnes présentes, intervenant·es et participant·es, pour la qualité des échanges, l’intelligence des contributions et les percées de lumière dans cette météo contrastée.


Merci à Nancy Duc, consultante chez Artemia pour la rédaction de l'article.